Couverture réalisée par Paracelsia Le Saigné
« Un jeune écrivain plonge dans un coma douteux qui profite à son éditeur et voit défiler à son chevet ses détracteurs/trices et admirateurs/trices. »
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Bonjour. Ah, on commence directement ? J’arrive et je lis… Je ne vous parle plus donc ? Oui, c’est assez spécial, mais je m’en contrefous en vérité. On n’avait rien à se raconter non ? Voilà. Eh bien, on y va. La maison de Matthieu Suppôt était plongée dans le silence. Le vigile de nuit avait pris le relais de son collègue traînant sa masse immense et dissuasive autour de la demeure afin de s’assurer qu’aucun rôdeur ne tenterait de s’introduire dans cette propriété privée. Après avoir jeté un dernier coup d’œil dans la chambre de Mat, il sombra dans un sommeil lourd assez inquiétant, il n’était pas censé quitter son poste, mais malgré un gros effort pour garder ses paupières ouvertes, la narcolepsie le terrassa. Soudain, la lumière devint diffuse, la maison fut plongée dans l’obscurité la plus totale. Des applaudissements s’élevèrent tel qu’ils auraient pu réveiller tout le quartier, mais personne ne bougea.— C’est bon là-haut. La discrétion. Ce n’est pas la première fois que je vous demande, je n’ai aucunement besoin de vos encouragements. Un homme élancé à l’allure d’un technicien de maintenance pointa son doigt vers le plafond qui s’était illuminé tout à coup avec fracas, chant lancinant à grand renfort de tambours.— Ça suffit, hurla l’inconnu et tout s’arrêta. Il se dirigea finalement vers la chambre de Mat flottant carrément au-dessus du sol. Il glissa vers le fauteuil en face du lit du comateux et ajusta son t-shirt où on pouvait lire « Eux = C Moi ».— DEBOUT ! Mat sursauta, il s’époumona tout un coup avant de se calmer, tremblant sous ses draps et scrutant l’obscurité de la pièce pour n’apercevoir qu’un étranger dans son Louis VX designer par Fifi co & Starck. Tout était noir d’encre, une sorte de succursale irréelle, lui-même croyait flotter dans cet endroit. Était-il encore vivant ?— Mais où je suis ? Au purgatoire ?— Chez vous, voyons, répondit l’homme agacé. N’importe quoi ! Le purgatoire ! On en fait un poème et c’est bon, ça vous traumatise. Allez, mon petit, on reprend son souffle. Mat n’en avait aucune envie, mais il inspira profondément et expira tout aussi fort, et d’un coup tout semblait apaisant.— Voilà.— Je peux savoir qui vous êtes ?— Je peux savoir qui VOUS êtes ? Plainte numéro infinitésimal 6578900136. Lors de votre évanouissement suite à l’ingérence de plusieurs produits nocifs et festifs ; vodka, Curaçao, rhum, bière, vous avez envoyé vos jurons à ma face avant de vous écrouler. Je suis là pour qu’on m’explique ce qui me vaut tant d’insultes. Mat devrait éprouver de la peur, ou se moquer de ce qu’il entendait, il savait qui il était, c’était impossible, mais il était tellement bien dans son cœur et dans sa tête qu’il formula son hypothèse en le susurrant.— Dieu ?— Oui, connard. Il fondit en larmes, mais une force le fit cesser aussitôt.— Non, fils, je n’ai pas le temps, ne commencez pas une rivière que je ne veux pas essorer. — Pourquoi autant de souffrance. J’aimerais juste… Pourquoi je me sens constamment vide ? — Vous êtes tous et toutes pleins d’idées, de désirs, de rêves, de sang, d’os et de viscères, mais vous chouinez tous sur ce vide intérieur que vous produisez. Et c’est toujours moi, le coupable n’est-ce pas. On vous donne tout, ce n’est jamais assez. Vous êtes les créations les plus ingrates et suffisantes que je connaisse, je perçois les ouin-ouin sans arrêt, des alarmes permanentes pour demander ou supplier, rarement pour dire merci. J’aime les animaux et les insectes, sans déconner, je ne les entends quasiment jamais, sauf pour se plaindre de VOUS. Et toi, permet que je te tutoie fils, tu me chie à la gueule tout un tas de jurons simplement parce que tu es trop adoré ? — Dit comme ça, c’est risible. Je ne suis pas adoré…— C’est quoi ton problème ? Bien sûr que si écrivain de mes deux… Pris au dépourvu, Mat compulsa toutes ses doléances dans sa tête afin de trouver une plainte juste et utile, mais rien ne venait.— Tu as donné naissance à des livres qui ont marché, d’ailleurs, il y a un de tes admirateurs qui fait un carnage en ce moment dans des usines à barbaques. Tiens-toi bien, ce petit imbécile me tartine de merde les patrons qu’il réussit à choper, et il me les balance dans le hachoir. Je ne vais pas le louper quand il se fera sauter la caboche celui-là. Mais vas-y, continue ton introspection flash !— Je voudrais vraiment être satisfait de moi, de ce que j’apporte aux autres et ne plus courir après la gloire, mais je ne comprends pas ce besoin de reconnaissance… Il me manque quelque chose. J’ai bu pour mettre fin à toutes ses interrogations en moi.— Est-ce que tu penses que le succès est le moteur de la création ? De la tienne du moins.— Sincèrement, j’avais envie de mettre en mots ce qui bouillonnait en moi. Et ce livre a tout fait foirer, juste à cause de mon égo.— Tu sais ce qu’il se passe présentement ? Tu es dans le coma. Étrangement, les gens qui s’inquiètent le plus pour toi sont assez rares, mais ils existent, je suis là pour eux. Que comptes-tu faire ? Est-ce que je laisse continuer ce jeu débile de Beau au bois dormant ou tu décides de me suivre ? Tu seras soulagé et tes proches aussi, ils pourront se dévorer sur les cendres de ton corps pourrissant et se disputer ton fric. Les autres pourront enfin te pleurer et se libérer de toi. — Comment est-ce là-haut ?— Ah, tu sais on reçoit beaucoup en ce moment, c’est une belle pagaille, je dois l’avouer, vous êtes plus chiant après la mort que vivants. Mat aurait voulu que cette entrevue dure plus longtemps, mais la fin était proche. Dieu lui avait ôté quelques doutes, des douleurs et le vide semblaient avoir disparu, mais il fallait avancer. — J’ai combien de temps pour me décider ?— Si tu veux, je peux repasser.— Ce n’est pas une blague ?— Bah, si ça peux te faire plaisir, je peux te dire que là, tout de suite, je suis le Dieu du présent et le Dieu du passé viendra et le Dieu du futur… Ce qui n’est pas si bête en vérité. Je te rendrais visite à nouveau jeune homme.— Les gens qui tiennent à moi, que font-ils ? Comment ça les affecte ?— Ils subissent, ils veillent sur toi, ils espèrent que tu ouvres les yeux.— Que va-t-il se passer alors ?— Je pars, tu replonges dans le noir, et je reviendrais. Je peux de nouveau te le répéter si tu ne saisis toujours rien. Tu me prends pour un disque rayé ?— C’est parfait comme ça, merci. Mat se recoucha sans faire d’histoires. — Bon, ça, c’est fait. Il faut que je note quelque part que je dois le revoir. J’AI TERMINÉ ! L’obscurité avala tout un moment puis tout redevint régulier. Le vigile se réveilla en sursaut. Il semblait paniquer et courut dans toutes les pièces de la maison, à commencer par la chambre de Mat pour vérifier qu’il s’y trouvait encore seule. Après avoir fouillé tous les recoins de la propriété, il se calma enfin, et déplia son portable pour achever un jeu commencé ce midi.
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