« Afin de dénoncer l’ineptie qui secoue le monde littéraire lorsque tous s’entichent d’une autrice de romance, un jeune écrivain idéaliste décide sur un coup de colère de rédiger un livre aux antipodes de ce qu’il croit acceptable. À sa surprise, il devient plus populaire que la coqueluche du moment. Ce stress intense entrainera une bien étrange maladie dont se servira son éditeur pour accroitre ses ventes. »
LECTURE JOUR 1
JOUR LECTURE 14
Elle résista un moment, mais à tourner en rond dans sa cuisine elle se sentit faussement allégée par les tracas que lui causait cette histoire. Parapet ouvrit alors son ordinateur portable pour jeter un coup d’œil sur Google et rechercher dans la barre d’information les pages concernant Docteur Lucas. Tout un organigramme s’étalait devant elle au fur et à mesure que le tentacule de la secte se divisait en plusieurs parties. Les timbrés s’affichaient, leurs dents blanches dehors, leurs peaux tannées par le soleil bienveillant qui était supposé tout guérir ; l’espoir redonnait foi en tous et en chacun résidait l’unique lumière capable de sauver l’humanité. Les médicaments ne servaient à rien, Docteur Lucas était présenté comme le messie et apposait ses mains sur vous afin de libérer les « couillons » d’un fardeau, d’une malédiction qu’eux seuls s’infligeaient. Du gros blabla New-âge déguisé, qui finissait par vous guider vers le site PayPal de l’association. Comme toute bonne secte qui fonctionnait, le charismatique Docteur Lucas utilisait les attentes de l’époque et ne se définissait ni en tant qu’homme, ni en tant que femme. Il ÉTAIT, il irradiait. Parapet aurait voulu prier pour que les bandes-vidéo n’apportent rien à ce timbré. Elle préférait aller se recoucher, mais se découvrit une nouvelle énergie proche de la rage : si elle avait pu, elle cognerait Satan jusqu’à ce qu’elle se sente mieux. La sonnerie de son mobile résonna un instant et le nom de ce dernier s’afficha sur l’écran. Elle laissa traîner et attendit que le vibreur de la messagerie se fasse entendre.
— Alors, oui, je sais que tu as envie de me fracasser la gueule. Mais nous avons un souci. Trotro est là. Je répète, Trotro est sur place.
Avant la fin de la phrase, Parapet avait enfilé son manteau et ses chaussures et avait détalé dans les escaliers pour sauter dans sa voiture et démarrer en trombe. Si seulement on pouvait rêver du lendemain, se disait-elle en mangeant la route, les pieds sur la pédale de vitesse, on ne voudrait jamais se réveiller.Truly Hannigan de son véritable nom Mathilde Dupied était une autrice autoéditée absolument énervante qui ressemblait à une poupée dans une boîte stérilisée. Elle n’avait rien écrit de notable et déchaînait pourtant les passions de vieux dégueulasses sur les réseaux sociaux. Elle était à présent la reine de petites moralistes pour qui le combat devait être mené pour tout et n’importe quoi, spécialement tout ce qu’elles ne percutaient pas. Pour Parapet, ces apôtres étaient semblables aux « Ellen Jamesiennes » du Monde selon Garp qui sous prétexte de défendre une cause, se transformaient en monstres idéalistes. Truly par contre, moulé dans ses habits de princesse, les cheveux lisses sous un béret coquin semblaient ne jamais comprendre ce qu’elle provoquait et cette innocence un temps toucha l’alcoolique qu’était devenu Matthieu Suppôt. Sobre, il l’aurait trouvé irritante et stupide, mais les degrés dans les veines, il souriait niaisement à la moindre apparition de sa Dupied entourée d’une aura de couleur qu’il voyait bourrée et qui apaisait son âme. Cette période était difficile pour tous. Parapet tenait la chandelle quand elle aurait adoré cramer la robe de l’autre quiche. Elle en faisait tellement trop dans son rôle de sainte nitouche, que Satan l’avait affublé du sobriquet de Trotro comme l’âne qui en faisait trop. Certains magazines people les appelaient les « tromats » parce que leurs prénoms débutaient par Mat et qu’ils étaient trop mignons. C’était gerbant d’entendre Trotro raconter son histoire d’amour avec un Mat déficient, un véritable trauma que PERSONNE ne voulait encore supporter.
Mais d’un coup, Mat s’attela à un nouveau roman, l’esprit plus clair, il commençait à voir les défauts de celle qu’il pouvait plus blairer. Autant de naïveté et de gentillesse lui pourrissaient ses journées et il la quitta. Une vague de haine venue d’internet faillit l’emporter, mais Trotro réclama un retour au calme, les larmes aux yeux, toute mignonne dans sa petite robe noire qui excita les charos. Elle était de nouveau sur le marché. Si Satan avait appelé, c’était que cette belle âme était sa kryptonite. Il n’avait aucune sorte d’influence sur elle et dès qu’elle l’ouvrait, c’était pour inonder de mots sucrés le monde qui n’en demandait pas tant.À l’entrée, les démons attendaient Parapet avec impatience, Sophie avait un verre de vin, et une bouteille qu’elle acheva d’une traite. Satan semblait être au bord de son existence.
— Elle est venue, elle… Elle… Putain, elle lui parle.
— Des poèmes ? Demanda Parapet.
— Aucun ne rime, pleura Sophie.
— Il va certainement crever de l’entendre dire de la merde. Quand elle parle, c’est horrible. Il est si clean, c’est inhumain.
— On aurait pu lui dire de se barrer, mais ce sourire de Madone, elle est tellement surréaliste.
— Sauve-le ! Tu es son agent-ami, ami-agent, comme tu préfères. Là, c’est une question de vie ou de mort. Si elle le réveille, ce sera encore pire.
Parapet hésita un moment, les yeux rivés sur la bouteille de saumure, puis elle entra dans la chambre sans frapper, sans faire de bruit et sans esclandre. Elle découvrit Trotro penché vers le visage de Mat, ce sourire insupportable sur sa tronche d’idiote. Elle était sublime dans sa robe de dentelle noire et brillante, ses cheveux débordaient de ses épaules, une véritable héroïne de conte de fées. Elle était tellement ennuyeuse.
— Comme tu as chaud mon bel amour. Dans ton sommeil oublié, reviens mon négligé. Si seulement je connaissais la bonne formule pour te ramener à moi. M’entends-tu, mon bon ?
Parapet réprima son envie de vomir et essaya de penser à une chose plus écœurante pour couvrir sa voix.
— Mon adoré, j’ai consulté ton livre fabuleux, cette histoire est une ode à la liberté, tu as su cerner les enjeux de notre temps. Ce changement en toi est une graine inspirante. Lorsque tu ouvriras les paupières, ce sera un renouveau pour toi.
C’en était trop.
— MATHILDE !
Elle leva ses yeux mouillés vers Parapet et lui adressa un « bonjour » plein de marguerites, c’était la limite pour l’agent qui avait envie de lui en coller une, mais se raisonna. Bordel ! Pourquoi tout était agaçant chez elle ?
— Ho, tu es là sans relâche ? Près de lui. Tu es si loyale…
— Il me paie, tu sais…
— Mais tout de même. Tu aurais pu le laisser vu son état, mais tu es toujours aux aguets. C’est admirable.
Trotro se précipita vers elle pour l’étreindre et lui faire un câlin. Parapet se débattit pour se libérer de ses griffes. Elle ne l’aura pas comme ça.
— Tu sais, tu peux t’en aller désormais. Apparemment, tu es ici depuis ce matin, c’est long. La visite normalement, c’est le temps d’un coup d’essai.
— Je voulais être là pour lui tu sais. J’étais si mélancolique en assimilant la nouvelle, si malheureuse.
— Il n’est pas mort…, souffla Parapet.
— Il est constamment présent dans ma poitrine.
— Ton cœur…
— C’est une douleur dans mon cœur…
— Ton cul ?
Trotro ria doucement.
— Gentille Para, tu ne changes pas. Tu es si drôle. Il te trouvait amusante et têtue.
— Il n’est pas mort.
Elle sentait bon en plus. Ce n’était pas possible d’être si mignonne, de parader au milieu de la pièce en causant comme Carla Bruni sous coke. Trotro reprit sa place au côté de Mat et recommença à lui parler d’amour.
— MATHILDE !
— Oui chère Para.
— Mathilde, tu devrais t’en aller. Vraiment. Mat reste un malade, et même dans le coma, il se fatigue.— Comment pourrais-je le fatiguer ? Je lui dis de si jolies choses. Ma voix peut l’apaiser, il adorait m’écouter.
Il était sous acide et rhum.
Parapet se força à sourire et osa s’approcher de la jeune fille pour la releva et l’accompagner vers la sortie. C’était un exploit de ne pas la baffer.
— Je suis persuadé que tu as raison, mais, là, Mathilde, soit brave. Tu es censé prévenir avant de passer… Et je ne voulais pas en venir à cette extrémité, mais sa sœur peut arriver à tout moment.
À cette annonce, Trotro blêmit… Elle s’en souvenait.
— Oh, il serait affreux qu’elle me croise.
— Oui, oui. Et personne n’a besoin de ça aujourd’hui.
— Ho, elle est tellement en colère. Je ne comprends pas toute cette haine en elle.
Parapet passa devant Satan et Sophie en continuant à garder Trotro dans ses bras pour l’entrainer dehors. Trotro lui adressa un signe de la tête pour la saluer et sortit calmement en esquissant des gestes dramatiques.
— Comment tu as fait ? demanda Satan.
— J’ai joué la carte Béatrice.
— Merde ! On aurait pu.
Béatrice ne tolérait personne, mais Trotro était arrivé à la rendre si méprisante qu’elle ne pouvait retenir son venin et larguait les bombes verbales sur la créature chétive qui ne le supportait pas.
— Je retourne dans ma grotte les loosers.
Parapet retrouva le confort de sa voiture. Elle soupira en se remémorant la nuit où elle avait avalé un truc tellement puissant qu’elle avait oublié jusqu’à son existence. Et c’est comme si l’univers avait perçu ses désirs, elle trouva sous son pied une mini carte de visite noire aux graphismes en liserés argentés : « Groumpf, créateur d’abîmes ».
— Merci, connard… si tu es là, fit-elle en levant les yeux au ciel.
Le gosse beau se nommait Matthieu Suppôt. (ah ouais, lui, il est dans la merde !)
Bien mes enfants, cessons les digressions, enfin, on va tenter de fermer sa gueule : L’homme se nommait Matthieu Suppôt, un babtou hyper grand et… Quoi ? Comment pas fragile ? Rapport à quoi ? Je le connais pas, laisse-moi finir, ça se trouve le mec, c’est Henry Cavill… Pourquoi tu te marres ? Ah oui… On ne voit qu’avec le cœur, disait Confucius… Je ris pas, c’est toi qui… C’est quoi ça ? Le texte ? Mais frère, je te jure, je peux raconter ça à l’aise sans scénare… Bah, clair, je veux être payé… Ah, vous êtes comme ça ? … Oui, je te le fais avec la voix suave et tout et tout… Je promet rien pour les digressions… Voilà, on y va… Tranquille.
Il était une fois, un jeune homme plein d’illusions sur la vie devenu un écrivain se spécialisant dans la prose virulente. Ses textes à charge contre la société consumériste et leurs piliers firent de lui un invité très prisé des plateaux de télévision. Il se disait héritier du plus punk des gribouilleurs. Enfin, la mode passante, le public, les médias finirent par se lasser de ses frasques et de ses éclats…
(La vie de moi, c’est poubelle ? C’est toi qui as écrit ça ? Non, attends, je te promets, je te le fais en mieux, je te le fais en mieux, je te jure… Laisse-moi… Tranquille… Voilà… Bon, on avance.)
Matthieu en avait gros, il voyait les ventes de son pavé dégringoler au profit d’une certaine Blondeline, petite femme à peine vive aux joues roses qui faisait un malheur avec les récits de son héroïne perdue dans ses amourettes entre deux, trois couillons. Les aventures de Morweniella étaient déclinées en 4 tomes déjà, tous plus large que son livre sur l’égoïsme éternel et l’orgueil humain. Tout le monde exigeait la cinquième bouse la bave aux lèvres, l’écume par terre, le sexe en alerte… Car sous couvert de nous narrer les péripéties d’une Angélique de pacotille ultra bonne, mais pure aux pays des machos playboys ayant activé leur radar à vierges, se cachait une romance vicelarde où Mormor tâtait de la teub avant de se décider à se caser avec l’un de ses bâtards. (Mais si ce sont des bâtards. Mais si, ils veulent la ken pour la pervertir… Tu comprends rien toi à la dark romance… Ho ? Je m’en sors mieux que ce que tu pensais ? Merci…)
Un soir, il avait craqué, son amour-propre avait morflé quand il avait cédé à l’achat d’un des tomes. La couverture lui pétait les rétines ; des muscles saillants soutenant une frêle jeune fille mi-pute mi-fugace (Je te jure, t’as pas vu la couverture frérot… Non, aucun problème, je te jure… Tranquille… J’arrête !.. Oui, oui, politesse…).
Le livre était illustré d’un bel homme mi-centaure mi-Hercule qui chope la Morweniella à peine vêtue, chemise ouverte, chienne endormie qui brûle. (Eh vraiment… Laisse-moi faire, tu fais chier tout le monde, là… Je ferais gaffe et tu m’arrêtes plus… Voilà !)
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