Interview FuckedUp de l’Artiste Anthony Mltrt

1 — Si tu devais te définir, façon FuckedUp, aux personnes qui ne te connaissent pas, ça donnerait quoi ?

Tout d’abord bonjour, non en fait pas de bonjour, à quoi bon de toute façon je m’en bats les couilles. Je suis le Voyageur N° 12, et ma destinée est d’atomiser l’espèce humaine parce qu’il y en a marre de cette arnaque de vie qui pourrit tout sur son passage. Sinon, en attendant une fin inéluctable où vous allez tous cramer dans d’atroces souffrances, je m’appelle Anthony, et je réponds à cette interview depuis le fin fond de la Bretagne. Cette région où on passe notre temps à boire des litres d’alcool par jour et à s’enduire le corps de beurre salé pour se maintenir en bonne santé.

Me définir ? Difficile d’y répondre comme ça, je n’ai jamais cherché à me définir, je n’en sais rien. Écrivain ? Artiste ? L’idiot du village ? Je tente tout simplement d’écrire, d’arriver à un niveau acceptable qui me permettrait de me transformer en une lame de rasoir suffisamment affutée pour venir caresser la carotide de tous les ravagés de la cervelle, cette masse inerte qui se répand comme une grosse bouse à la surface de la planète.

Je suis du genre à bien aimer mettre les pieds dans le plat quand j’écris, explorer les coins sombres, les angles morts. Je souhaite mettre en lumière la réalité décadente, violente, misérable et sans espoir du monde qui nous entoure. Je veux que mes écrits soient rugueux, qu’ils aient les genoux écorchés, la gueule en sang, qu’ils soient cabossés de partout, prêt à prendre feu à la moindre étincelle.

En fin de compte, je peux répondre à ta question en te disant que je me définirais comme un pyromane de l’écriture. Quand je publierai un livre, j’y glisserai un bon d’achat pour un bidon d’essence et une boite d’allumettes.

Lester Bangs, pyromane en puissance. © Chris Stein

2 — Tu possèdes un vrai talent pour retranscrire les moments les plus torturés de tes personnages. Tu attrapes le lecteur par le col, et là impossible de faire marche arrière, il se retrouve coincé dans un univers à la quatrième dimension. Selon toi, faut-il avoir l’âme meurtrie pour écrire dans ce registre qui est le tien ?

Je ne sais pas. Je ne me pose pas beaucoup de questions sur ma façon d’écrire, sur le pourquoi du comment, ou le registre qui est le mien. C’est venu naturellement, comme une évidence quand j’ai commencé à poser des mots sur une feuille. Il faut surtout avoir quelque chose à dire, sinon à quoi bon perdre son temps dans l’écriture.   Ai-je l’âme meurtrie ? J’en sais foutre rien, et je n’en ai pas grand-chose à faire à vrai dire, je trace ma route vers là où il me semble que je dois aller. Je pense qu’il faut surtout écouter ce qu’il se passe au fond de soi, et composer avec. Ne pas aller contre sa nature profonde. Il est important d’écouter cette mélodie qui résonne à l’intérieur de soi-même, il faut lui faire de la place, la laisser grandir, l’accepter, et la retranscrire au travers de ses mots. Faire naître une histoire doit faire preuve de sincérité et d’honnêté envers qui tu es. Ça doit vibrer à l’intérieur, hurler, peu importe le registre dans lequel tu écris. Il faut que ça cogne sévère dans ta caboche, que tes neurones soient près à exploser à la face du monde, un peu comme le groupe Rage Against The Machine qui écrasait tout sur scène dans les années 90. Mets-y tes tripes bordel, fonce dans le tas, rien à foutre de l’avis des autres, de ce qu’ils te disent, de ce qu’il faut ou ne faut pas écrire. Trace ta route, et s’il y en a qui ne sont pas contents, vise la jugulaire.

Rage Against The Machine

3 — Voyageur N° 12 ça vient d’où ce choix de plume ?

L’envie de ne pas accorder d’importance à ma personne, une simple signature au bas de mes œuvres. Une simple petite griffure pour attester de mon passage. Au tout début de mon compte Twitter, je veux dire par là, quand j’ai atterri dans le coin, je souhaitais garder une part de mystère, rester anonyme, mais ça n’a pas duré très longtemps. J’ai ajouté mon vrai nom par la suite, enfin presque, quand j’ai commencé à interagir avec d’autres personnes et à faire leur connaissance.  

Un carnet de notes qui me suit

4 — Tu as publié sur ton site internet, des nouvelles, qui vraiment ne laisse pas indifférent, notamment « Mes chers compatriotes » le récit d’un homme au bout de sa vie durant les débuts du premier confinement. Ce dégout pour le comportement des gens, pourquoi avoir eu envie d’en faire une nouvelle ?

Ça fait partie des univers sur lesquels je souhaite écrire, comme je l’ai dit plus haut, l’humain dans toute sa splendeur. C’était pour le plaisir de leur mettre la tête dans leur propre merde, et puis il y avait matière à faire quelque chose de sympa. Je me suis inspiré de ce que j’ai pu observer de mes propres yeux. Ça ne s’est pas passé exactement comme je l’ai raconté, mais c’était assez pathétique et triste au final de voir tous ces gens se « battre » pour remplir leurs sacs de courses. J’ai poussé la réalité dans les cordes pour lui en mettre plein la tronche et lui donner un aspect encore plus grotesque.

C’était ma première nouvelle, je trouvais que ça faisait une bonne base de travail pour faire un récit en immersion écrit à la première personne. Ce texte était surtout pour moi un exercice d’écriture, savoir si j’étais capable d’écrire quelque chose qui tienne dans la longueur, et ça a fonctionné, donc ça m’a motivé à continuer d’écrire.

5 — Hunter S. Thompson, est l’un de tes auteurs préférés, en quoi ses œuvres t’ont inspirées pour trouver ton propre style d’écriture qui t’es si unique ?

Hunter S. Thompson, j’en ai beaucoup parlé sur Twitter, c’est une putain de référence pour moi. J’ai appris à le connaître en lisant sa biographie écrite par William McKeen aux éditions Tristram, une énorme révélation, et ça m’a fait prendre conscience que l’écriture pouvait être un moyen de création pour moi. Un peu comme de la musique punk, mais couché sur du papier, un délire total le bonhomme.

Las Vegas Parano, Hunter S. Thompson (Raoul Duke dans le film) et sa machine à écrire, interprété par Johnny Depp.

Pour bien comprendre le truc, écrire n’était pas quelque chose qui m’intéressait, c’est vraiment venu petit à petit. Il m’a donné le coup de pied au cul que j’avais besoin pour me rendre compte que l’écriture était ce qu’il me fallait pour m’exprimer et qu’il n’y avait pas que la guitare ou la photographie comme moyen d’expression qui s’offraient à moi.

J’ai découvert un gars qui allait à contre-courant, traçait son propre chemin sans se préoccuper de ce qu’on pouvait bien penser de lui, il n’était pas fait pour rentrer dans un moule, plutôt du genre à les casser, à les réduire en miettes. Un sacré doigt d’honneur avec une machine à écrire, une IMB Red Selectric, entre les pattes.

Sa façon de s’exprimer, d’être, m’ont donné envie de m’y mettre à force, même si j’ai mis du temps à oser franchir le pas. Au final, je m’y suis mis tout récemment en 2019, en partant de rien, sans aucune expérience, quasiment une dizaine d’années après avoir fait sa connaissance.   Le film Las Vegas Parano réalisé par Terry Gilliam, tiré de son livre, a été, et est toujours une source d’inspiration pour moi, il me fait l’effet d’une bouffée d’énergie qui me donne envie de tout défoncer sur mon passage quand je prends un stylo pour me saigner le cerveau sur une feuille de papier. Son œuvre a donné à mon écriture, qui en est toujours à ses balbutiements, un style rentre-dedans, incisif, sans concession et plutôt crever que d’en faire.  

Hunter S. Thompson en pleine discussion avec sa machine à écrire.  

6 — Tu allies écriture et photographie, et ce avec brio. Tes œuvres visuelles, tout comme tes écrits, sont empreintes d’une grande poésie mélancolique. Encore une fois, tu tapes dans le mille, d’où vient cette rage qui t’anime ?

Tout ça vient du fait que j’aimerais que le monde se porte mieux, mais je constate que la société est un gros sac à merde qui aime vivre dans la haine de l’autre, un bordel sans queue ni tête, et devoir assister à ce spectacle affligeant me donne la rage.  

Haut lieu de dégénérescence cérébrale.

J’ai envie de briser les genoux de tous ces connards, de tous ces débiles aux cerveaux nécrosés qui pensent être de grands penseurs, comme ces éditorialistes à la con qui se pavanent sur les chaines de télévision. Quand j’en entends un raconter qu’il faudrait que les Français fournissent plus d’efforts travaillent plus dur pour redresser l’économie de la France, j’ai sévèrement envie de lui cramer la gueule. On y revient souvent à cette envie de mettre le feu à tous ces pourris, à tous ceux qui te disent que t’en fais pas assez, alors que le seul effort qu’ils sont capables de fournir, c’est de torcher un papier de merde pondu dans leur appartement de merde, de le lire devant une caméra comme une grosse merde et d’être fier de la merde qu’ils viennent chier à la gueule de tous ceux et celles qui se flinguent la santé pour tenter de survivre dans ce monde de merde. Ouais, il y a beaucoup de merde dans tout ce que je viens de dire, mais il y a aussi beaucoup de connards et je pourrais développer le sujet encore plus, et parler de tous ce qui me fait enrager tous les jours dans mon quotidien, mais je n’ai pas le courage de faire le tour de tout ce qui me gonfle, parce que sinon je vais sortir de cette interview pour aller acheter une tronçonneuse au magasin de bricolage du coin et débiter du connard à n’en plus finir.

Leatherface. T’es où mec ? Il y a du boulot pour toi dans le coin.

7 — Si tu devais choisir une seule œuvre littéraire ça serait laquelle et pourquoi ?

C’est une question vicieuse ça. Je ne sais pas comment on fait pour choisir un livre, et n’en ressortir qu’un seul parmi tous ceux que j’ai pu lire. Bon vu que je vois que tu es prête à sortir ton couteau que tu caches sous la table pour me forcer à en trouver un, je dirais Le gang de la clef à molette d’Edward Abbey. Ce livre est une ode à la nature et un cri de rage contre une société industrielle qui détruit tout sur son passage pour tirer le maximum d’argent de ce que peut offrir la planète.

Edward Abbey

Je l’ai lu il y a pas mal d’années. Ça m’avait l’effet d’une grosse claque. C’est tellement triste de voir de tous ces endroits sauvages se transformer en parcs de loisirs, en machines à fric, tout ça pour remplir le portefeuille d’un type corrompu jusqu’à la moelle, pour qui tout est bon pour ce faire du fric. J’avais même envisagé un instant, après avoir fini ma lecture, d’acquérir une scie circulaire pour aller abattre tous ces panneaux publicitaires qui défigurent le paysage et qui ressemblent à des étrons sur pattes tout droit sortis du cul cancéreux d’une vache en train d’agoniser sous les coups de boutoir de son propriétaire en manque de sexe. Le monde industriel est quelque chose qu’il faut atomiser et réduire à néant.

Je conseille vraiment ce bouquin, l’auteur est un génie qui mériterait une plus grande reconnaissance, jamais vu quelqu’un en parler sur Twitter. Il donne envie de se réveiller, de sortir de cette torpeur avilissante qui nous fait courber l’échine. Allez faire un tour sur internet pour voir ce que les gens en disent, il n’y a que des éloges sur ce livre culte, et tout le reste de sa bibliographie vaut le détour également, comme Désert Solitaire qui est considéré comme un chef d’œuvre par beaucoup de personnes.

8 — Est-ce ton souhait un jour de te lancer dans l’écriture d’un roman, si oui, comment l’imagines-tu ?

J’y pense, même si écrire un roman n’est pas une quête absolue pour le moment, je note pas mal d’idées pour en pondre un. Ce qui est certain, c’est que je ne souhaite pas en rédiger un, juste pour dire que je l’ai fait, et me prendre en photo avec pour publier un tweet à la con du genre « regardez comment il est beau mon bébé ! », et rester là à observer mon compteur de like, à attendre le premier « j’aime » comme une limace qui attend de se faire marcher dessus par une chaussure made in j’en rien à foutre de toi, en fait je ne compte pas m’offrir ton bouquin, je like ton post juste pour que tu me remarques et viennes acheter mon livre. Le twitter littéraire, c’est comme une trace de frein un peu trop prononcée au fond de ton froc, qui finit par t’irriter la rondelle pour se transformer en une infection purulente.

 

Orange Mécanique. Quoi ?

J’ai plutôt dans l’idée qu’il ressemble plus à une grosse tarte dans la gueule, à une chose qui ferait l’effet d’une grenade dégoupillée coincée entre les fesses du lecteur, que ça donne la sensation d’être vivant, de vouloir se réveiller pour prendre sa vie en main pour tout dégommer sur son passage. Je ne peux pas écrire quelque chose de convenu, de chiant, de vu et revu, comme on peut trop le voir passer sur les réseaux sociaux, mêmes histoires à la con, mêmes couvertures de chiotte torchées par un artiste qui n’en est pas un, va observer un éléphant dans un zoo, il te chiera un truc qui ressemblera plus à de l’art qu’à ce tas d’immondices qui prolifèrent aussi vite qu’une diarrhée fulgurante qui débarque dans ton slip pour se répandre sur le sol. Il faut que ça tranche dans le lard, que ça t’explose en plein visage, comme une météorite qui traverserait tout l’univers spécialement pour toi, pour venir te percer le crâne de part en part pour y mettre un peu de lumière.  

9 — Si tu devais ne retenir qu’un seul passage d’un œuvre littéraire, ça serait lequel ?

Un extrait de Sur l’écriture de Charles Bukowski, tiré de lettres qu’il a envoyé à diverses personnes qui évoquent son rapport à l’écriture.

Charles Bukowski, un regard honnête sur le monde qui l’entourait.

« […] Ils ont toutes ces théories et idées préconçues sur ce que devrait être la poésie. Ces gens pour la plupart vivent au 19e siècle. Si un poème ne ressemble pas à Lord Byron, ils n’en fermeront pas l’œil de la nuit. Les politiciens et les journaux parlent beaucoup de liberté, mais du moment que tu commences à l’exercer, que ce soit dans la Vie ou le monde de l’Art, tu es bon pour la prison, la moquerie, ou l’incompréhension. J’y pense parfois quand je glisse une feuille de papier blanc dans la machine à écrire… Bientôt tu seras mort, bientôt nous serons tous morts. Même si là maintenant ce ne serait peut-être pas une si mauvaise chose d’être mort le mieux serait de vivre en écoutant la voix qui résonne au fond de toi, et si tu es assez honnête tu pourrais finir en cellule de dégrisement 15 ou 20 fois et perdre quelques boulots ainsi qu’une femme ou 2 ou peut-être même étaler quelqu’un dans la rue et dormir de temps en temps sur un banc dans un parc ; et là si tu en reviens à un poème, tu n’auras plus trop à te soucier d’écrire comme Keats, Swinburne, Shelley ; ou agir comme Frost. Tu ne te soucieras pas du nombre de pieds, de vers, ou si les phrases riment bien. Tu veux que ça sorte, que ce soit dur ou brut ou autre chose — peu importe du moment que tu peux restituer l’idée avec justesse. […] Et j’aime autant qu’on me décrive comme un maçon ou un castagneur plutôt qu’un poète. […] »

10 — Pour terminer, Tony tu vas avoir droit au « Questionnaire Poivrot ».

— Quel est ton alcool favori ?

Je ne bois pas vraiment, ça arrive rarement, pas de quoi en avoir un favori.  

— Combien de sex-toys possèdes-tu ?

Ma main droite compte ?   — L’acteur ou l’actrice avec qui tu veux coucher ? Aucune.   — Étais-tu sobre pour répondre à cette interview ?

Oui totalement, mais complètement malade, d’ailleurs je retourne m’effondrer sur mon lit.

  — Ton insulte favorite ? Trou du cul en Breton.  

Retrouvez Anthony Mltrt sur

son site internet :  voyage indicible

Sa nouvelle : Dernier souffle

« Je n’avance plus. Me relever est impossible. Mes mains s’engourdissent dans un sol sans vie. Une terre froide, agonisante, noyée sous le sang d’une humanité perdue dans les méandres de sa propre conscience. Pas le moindre abri à l’horizon, je vais mourir. Une certitude infaillible qui se répand au travers de ma chair meurtrie. 

J’ai froid. » 

Retrouvez Anthony Mltrt sur Twitter

 

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