Épisode 5 : Pratique solitaire
Laure a savouré l’enseignement privé de son sensei, mais n’a pas développé de sentiment à son égard. Il a donc décidé de mettre un terme à leur relation intime.
Couverture réalisée par Fifi Roukine, source photo : RODNAE Productions
Si Laure fantasme sur Greg, elle n’ose qu’imaginer leur rapprochement.
Laure regrettait d’être venue à l’entraînement. Agenouillée sur la même ligne que ses condisciples, elle gardait la tête basse, incapable de regarder son senseï en face. La présence de Greg à ses côtés n’arrangeait pas son embarras, le musc que dégageait sa peau avait le don de la faire saliver. Il lui fallait le fuir, éviter de blesser davantage son ancien amant dont la voix semblait enrouée.
Elle se précipita donc vers Justine dès l’exercice annoncé. Personne n’allait la lui disputer, l’idéal pour garder profil bas. La ceinture orange ne lui cacha pas sa joie de se voir préférée aux plus hauts gradés, elle en sautilla presque avant de s’incliner. Elle l’imita.
Deux heures de corps-à-corps lui changèrent les idées. Quand elle s’appliquait, Justine ne ménageait pas ses efforts. Une qualité que Laure appréciait. La voir progresser à chaque répétition avait d’ailleurs stimulé son propre enthousiasme. Bien qu’elle l’avait avant tout choisie en tant que rempart contre la gente masculine, Laure avait passé un agréable moment en sa compagnie. Elle envisageait désormais leur amitié.
— Laure, l’interpella soudain leur senseï. Puis-je te parler un instant ?
La confrontation qu’elle redoutait depuis une semaine s’imposait. Ses épaules remontèrent comme suspendues à un cintre, elle se figea. Les autres élèves filèrent vers les vestiaires.
— Je vous écoute, marmonna-t-elle, mal à l’aise.
— Détends-toi.
— Facile à dire.
— Soit. Je comprends. Il nous faudra sans doute du temps.
Laure opina du chef, pressée de partir.
— En attendant, ne te prive pas de certains partenaires ni de t’amuser.
— Vous m’aviez suggéré de m’entraîner avec les débutants. Et puis, je ne tiens pas à vous froisser.
— J’apprécie ton implication, mais tu te trompes encore sur mon compte.
Son senseï salua l’effigie du Maître, ce qui conclut leur conversation. Déstabilisée par ses dernières paroles, elle lui emboîta le pas et quitta le dojo en silence.
— À jeudi, la salua-t-il pour lui rappeler de prendre le bus.
Une Laure en pleine réflexion leva le nez au moment où il pénétrait les vestiaires réservés aux hommes. Elle ne put s’empêcher d’y jeter un œil. J-P et Tan s’y baladaient en boxer tandis que Lukas se frictionnait les mollets.
— À jeudi… balbutia-t-elle lorsqu’elle aperçut Greg s’enrouler dans une serviette.
La porte se referma sur ce bref aperçu, une vision loin d’être courte qui la marqua au fer rouge.
Laure transpirait. Les vapeurs du hammam lui dissimulaient ses condisciples qu’elle oublia, plongée dans ses pensées. Elle y papillonna, volage dans l’étude des corps. De ce qu’elle en avait touché et observé, le colosse de bronze paraissait en proportion. Une perspective qui ne chatouillait pas que son appétit. Quoique après l’expérience vécue avec son senseï, goûter du trentenaire la tentait beaucoup moins.
Samira et Michelle qui, mères de famille, partageaient des valeurs assez semblables, éclatèrent soudain de rire. Si leurs enfants constituaient leur sujet de prédilection, se plaindre ou se moquer de leur époux respectif semblait parfois les défouler bien davantage que la pratique du jujitsu. Aujourd’hui, les deux bonhommes en prenaient chacun pour leur compte.
— Voilà où mène le mariage ! À croire qu’ils cherchent tous des bonnes ! Comment pouvez-vous accepter ça ? maugréa Justine dont la haine des hommes se voulait militante.
Laure n’appréciait pas cette facette excessive de son caractère. Les deux ceintures bleues en soupirèrent. Malgré ce qu’elles reprochaient à leur conjoint, Samira et Michelle semblaient plutôt heureuses en couple.
— Tu finiras seule avec des chats, la piqua Delphine qui travaillait au sein d’une association dédiée aux cheffes d’entreprise.
La ceinture verte considérait la vie comme une compétition où le genre de l’adversaire n’importait qu’aux perdants.
— Ou avec une femme ! rétorqua Justine, vexée.
— Tu veux essayer ? plaisanta Laure pour détendre le climat.
— Chiche !
Justine se rapprocha et tendit les lèvres avec défi. Sans réel enjeu, Laure le releva ; ses années de pensions lui avaient laissé une certaine expérience en la matière. Au contraire de la blonde qui se crispa. Lui glisser une main sur le bras la convainquit même de reculer.
— J’embrasse si mal que ça ?
— C’était…bizarre.
— Seule avec des chats, répéta Delphine.
— Va-te faire foutre !
— J’y compte bien, moi. Tu comprends pas qu’on en a marre de tes délires de petite conne, là ? Sors un peu de ton petit monde de fragiles !
Les insultes empoisonnèrent l’ambiance. Samira et Michelle s’empressèrent d’échapper à la dispute et quittèrent le hammam. Laure hésita à les suivre. Non seulement, elle ne supportait guère les prises de bec, mais elle risquait aussi de rater le bus. Pourtant, elle ne se résolvait pas à abandonner Justine dont le timbre s’humidifiait face à l’acidité de Delphine. La ceinture orange avait beau se montrer pénible avec sa misandrie, la rabaisser n’allait pas l’aider à progresser.
— Ça suffit ou je vous colle au mur !
— T’en mêle pas ! cracha Delphine, l’esprit échauffé par l’étuve.
— Sors prendre l’air, la pria-t-elle sur un ton calme empreint d’autorité. S’il te plaît.
Sa condisciple croisa son regard à travers les volutes que l’eucalyptus parfumait. Laure, certaine de sa supériorité, ne cilla pas face à son aînée. La ceinture verte perdit la bataille et s’en alla dans un grommellement agacé.
— Merci.
— Delphine est allée trop loin mais attend avant de me remercier. Tu crois être féministe, OK. Cela-dit, te rends-tu compte que tu as tendance à nous humilier avec tes discours et tes insinuations ?
— Tu t’y mets, toi-aussi…
— Écoute. Que tu n’aimes pas les hommes, c’est une chose. Reprocher aux femmes leurs choix, s’en est une autre. Concentre-toi plutôt sur la sororité, d’accord ? Comme la semaine passée, quand tu t’es inquiétée pour moi.
Justine, renfrognée opina du chef et croisa les bras, ce qui lui remonta une poitrine que Laure jalousait un peu.
— Tu irais prendre un verre avec moi demain soir ? se risqua-t-elle.
— Bien sûr.
Justine retrouva le sourire.
Laure terminait sa troisième bière. Le brouhaha du bar conjugué à l’alcool sapait sa concentration. Un rêve éveillé où s’entremêlaient les corps se superposait peu à peu à la réalité, elle se contentait donc de hocher la tête depuis quelques minutes. Justine tenait le crachoir, parlait université et psychologie. Les glaçons diluaient le spritz qu’elle remuait, le geste machinal.
— Je suis sur le campus Horta en science mathématique, lâcha-t-elle soudain pour participer à la conversation.
— Je sais, tu m’as même proposé de m’aider avec mes statistiques.
— Je crois que j’ai déjà trop bu. Désolée.
— Ce n’est pas prudent d’être ivre. Les hommes te…
— Tu recommences, la coupa-t-elle. Je vais pas m’empêcher de vivre. En plus, je peux péter la gueule à celui qui m’emmerde.
— On tombe toujours sur plus fort. Tu ferais quoi contre un mec comme Greg ?
Entendre son nom lui rappela l’aperçu qu’elle avait eu de son anatomie ; une vision colossale qui charria un sang brûlant à travers ses chairs jusqu’à colorer ses joues de désir.
— J’en étais sûre ! Rien qu’à l’évoquer, ton visage change. Ce chien t’a touchée ! Il faut déposer plainte ! Je suis témoin ! Et les autres qui ont tout vu et ne disent rien, ça me fait vomir !
— Justine, stop ! Tu déconnes complètement. Greg n’a rien à se reprocher.
— Alors pourquoi tu fais la grimace quand tu es près de lui ? Je l’ai bien vu hier avant que tu me rejoignes.
Laure fronça les sourcils. Sa vigilance tournait à l’obsession. Il lui fallait y mettre un frein avant qu’elle ne cause des dégâts parmi leurs condisciples. La vérité lui parut la seule option.
— Si tu me trouves bizarre, c’est parce que j’ai envie de lui. Greg me plaît, je le trouve appétissant avec tous ses muscles.
Justine pâlit, sa bouche s’étira vers le bas. En un instant, elle ressembla à un bulldog privé de son os à ronger.
— Ah. Si tu le dis, marmonna-t-elle en consultant sa montre. Il est surtout brutal et condescendant.
Sur le départ, elle siffla le fond de son cocktail. Laure ne voulait pas la laisser partir en rogne.
— De toute façon, il est trop vieux pour moi.
— Ouais, au moins quinze ans de plus ! spécifia Justine, de retour dans la bataille. On se recommande un verre ?
Laure s’enferma dans la salle de bain. Elle y déballa le chibre factice qui lui avait tapé dans l’œil. Ce monstre brun matérialisait ce qu’elle imaginait équiper Greg. Un succédané que l’ivresse jugeait apte à calmer la bête qui lui rongeait les tripes. Sa masse réaliste en main, elle adressa sa gratitude au sex-shop en ligne qui l’avait livrée le matin-même.
Au mépris des moqueries, discuter de l’Hercule comme le surnommait Justine avait exacerbé ses fantasmes. Son senseï à présent hors de l’équation, Laure se souvenait désormais avec trop d’acuité des sensations éprouvées lors de leur dernier exercice. L’affronter au sol avait entrechoqué leurs corps et embrasé son imagination ; le toucher l’avait torturée, le respirer l’avait ensorcelée. Son contact avait allumé un feu qui, ce soir, ne voulait pas s’éteindre.
Elle tituba jusqu’à la douche. La ventouse s’accrocha au carrelage dans un bruit de succion, le silicone en érection oscilla sous son propre poids. Elle baissa son jeans, puis se retourna.
Déjà répétée dans ses songes, la scène se déroula dès qu’elle ferma les yeux.
Le dojo désert n’accueillait que leur combat. Passes et prises les mouvaient l’un contre l’autre, aucun ne prenait le dessus alors qu’elle le sentait se durcir à chacun de leur frôlement.
Elle baissa sa garde, une invitation à s’y engouffrer. Son adversaire en profita. En un éclair, il se plaça dans son dos et s’insinua entre ses cuisses. Elle piailla sous l’outrage.
— Tu vas me baiser sans préambule.
— Celui qui remporte le shiai pourra disposer du perdant. Tes propres mots, lui fit-elle répondre. Et tu m’as laissé gagner, avoue.
— Aujourd’hui, la victoire se joue sur terrain humide…
Greg frotta sa queue dont la large hampe se marbrait de veines contre son sexe engoncé par le tissu. Cette pression l’obligea à gémir ; son ventre clama une faim qui la cambra pour quémander pitance. Sa culotte tomba à ses pieds et un énorme gland se logea entre ses lèvres que gonflait le jus. L’envie la lubrifiait.
Inspiré par l’attitude que lui établissait Justine, Laure le visualisa brutal au même titre que son coup de reins, celui d’un animal en rut.
La raideur la transperça. Elle grogna, saisie par l’euphorie que lui procurait ce brusque assaut ; elle avait gobé sa masse avec l’appétit d’une ogresse. Ravi par son hospitalité, son partenaire amorça un va-et-vient assez vigoureux qui lui extorqua des encouragements à l’éloquence obscène.
À s’infliger sa rudesse, elle ne s’octroya aucun répit.
Laure, enivrée, prenait son pied et n’avait pas la prétention de le taire, à jubiler à chaque aller-retour. Une main se joignit à son siège et malmena son clitoris. Si des spasmes précurseurs la secouaient déjà, cet attouchement l’envoya vers le paroxysme de l’acte.
— Laure ? l’interpella Jessica avant de tambouriner à la porte. Qu’est-ce que tu fous à beugler comme ça ? Tu chiales ? On t’égorge ?
— O-ccu-per ! ahana-t-elle en plein orgasme.
— Tu regardes un porno ou quoi ?
— J’me masturbe ! Fiche-moi la paix !
— Putain, t’es crade ! Fais moins de bruit, please, quoi ! Et nettoie ! C’est un putain de commun. Va dans ta chambre, quoi !
Si Laure savoura les ultimes remous extatiques, sa colocataire venait de la refroidir. Il était temps de s’imposer.
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