Épisode 2 : Provocation
Couverture réalisée par Fifi Roukine, source photo : RODNAE Productions
Le sensei de Laure l’a prévenue qu’elle lui plaisait. Laure provoque dès lors cet homme strict voire sexiste sur la tenue des femmes dans le dojo tant par insolence que par curiosité sexuelle.
Laure se regardait dans le miroir. Elle y voyait une grande perche brune dont les formes ne mettaient guère en valeur la dentelle qu’elle avait achetée sur un coup de tête ; un instant où fantasmer l’avait fait se trouver irrésistible. Elle s’en sentait idiote. Les menaces de son senseï lui embrouillaient l’esprit depuis une semaine, l’aversion s’y disputait toujours avec l’excitation quelques heures avant de lui faire face. Son impatience lui prouvait néanmoins que l’intérêt remportait la partie. Une part d’elle désirait qu’il se change en loup.
La porte s’ouvrit sans avertissement et Jessica déboula dans sa chambre.
— Dis, t’aurais pas une pince à épiler ? Je trouve plus la mienne.
— Je t’ai déjà demandé de frapper. Et oui, elle est dans la trousse sur la commode.
— Allez, ça va. C’est pas comme si t’avais pas l’habitude après six ans en pension, se moqua-t-elle, la main plongée dans la pochette. Joli ensemble en tout cas. T’as déjà un mec ?
— J’ai juste envie d’être sexy.
— Tu devrais te boucler les cheveux alors. Là, ils sont tout plats.
— J’y penserai, merci, rétorqua Laure, le sourire aussi faux que sa gratitude. Tu as trouvé ?
— Oui. Oh ! Tu me prêtes ce rouge à lèvres ?
— Je fais de l’herpès, lui mentit-elle pour protéger ses affaires de sa convoitise.
L’écœurement retroussa aussitôt le nez de sa coloc qui en relâcha le maquillage. Laure lui dissimula sa victoire sous un air gêné.
— Rappelle-moi de ne jamais boire à la même bouteille que toi. Bon, je te laisse. J’ai des poils à arracher !
Laure soupira d’agacement dès que la porte se referma sur l’enquiquineuse. Elle connaissait ce genre de femmes, l’affronter à la loyale risquait de transformer leur colocation en enfer. Jouer les hypocrites lui semblait préférable à un déménagement en pleine rentrée.
Le vestiaire était vide. Quand le bus respectait l’horaire, il lui octroyait vingt minutes de battement avant le début du cours. Laure se changea en vitesse, puis pénétra un dojo encore désert. Ne lui restait plus qu’à s’échauffer pour s’occuper. De toute façon, elle ne tenait pas en place.
Elle comptait sa douzième pompe. L’énergie ne lui manquait pas ; la tension que lui causait Jessica ou se confronter d’un moment à l’autre à son senseï lui générait un stress qu’elle voulait évacuer.
— Bonsoir, l’interrompit une voix grave, celle du balaise.
— Bonsoir… Greg, c’est ça ?
Laure qui se colorait déjà du rouge de l’effort s’en félicita lorsqu’elle croisa son regard vert. Il tranchait sur un teint de bronze qui se taillait en traits aussi carrés que sa carrure. Ce gars se démarquait du lot.
— Tu m’as l’air motivée.
— J’ai besoin de me défouler.
— Comme nous tous, je crois.
Greg lui tendit une main. La saisir l’embrasa. Une palpitation lui oppressa la poitrine, son corps en fourmilla ; une sensation proche de l’effervescence qu’elle éprouvait lors des tournois. Palper du colosse lui tardait.
— Je veux disputer un shiai contre toi, lui annonça-t-elle à brûle-pourpoint au moment de bondir sur ses pieds.
— J’en serai ravi.
Ils se jaugèrent, prêts à déceler la moindre faiblesse chez l’adversaire. Qu’une seule erreur puisse l’envoyer au tapis lui fouetta le sang. Si elle redoutait sa force de frappe, elle se savait toutefois plus rapide et plus technique.
— Laure ! s’enjoua Justine dont l’arrivée la sépara de Greg. Comment tu vas ?
— En forme.
Alors qu’elle cherchait à lui faire la bise, sa condisciple écarquilla les paupières et la traîna aussitôt sur le côté.
— Tu devrais vraiment mettre un t-shirt, chuchota-t-elle. Sinon les hommes vont tous te reluquer et commenter ton corps.
— C’est le senseï qui te l’a dit ?
— Comme si j’avais besoin qu’un autre me paternalise. J’ai des yeux et des oreilles. J’ai vu comment l’hercule de service te matait.
— Je note que toi aussi tu n’as pas les yeux dans ta poche puisque tu as remarqué que je n’en portais pas.
— T’es pas très sympa de me balancer ce genre d’argument.
— Écoute… Je ne veux pas te froisser. Mais, c’est juste que je ne me prive pas non plus pour juger leur cul ou leurs muscles.
— Fais comme tu veux, conclut Justine, l’air peu convaincu.
L’apparition de leur senseï exigea le silence et l’empêcha d’argumenter davantage.
Dix minutes qu’elle poireautait à l’arrêt. Ses cheveux encore humides perlaient sur sa nuque. Laure regrettait les vapeurs du hammam et la conversation qu’elle aurait pu avoir avec sa condisciple sur la gent masculine. Elle ne niait pas qu’avec sa modeste expérience, ce sujet la rendait curieuse.
Une citadine grise s’arrêta à sa hauteur. Sortir plus tôt lui rejouait donc bien le scénario de la semaine précédente. Monter à bord n’avait pourtant plus rien d’innocent. Elle hésita.
La raison qui s’échinait à l’apeurer comme à l’écœurer depuis des jours s’étiola au profit d’une fébrilité inédite. Son ventre s’en tordit d’appétit, ses extrémités s’en électrisèrent. Laure grilla jusqu’aux oreilles tandis que la chaleur l’enveloppait d’un carcan délicieux.
Imaginer la suite la mettait dans un état qu’elle peinait à ignorer. Elle voulait miser pour voir.
— Merci, marmonna-t-elle quand elle s’installa sur le siège passager.
— Avec plaisir. Tu t’en doutes.
Ce rappel des enjeux la liquéfia sur place. Elle croisa les jambes avec nervosité, ce qui empira son impression de dégouliner. Elle opina du chef, incapable de balancer une insolence.
— Greg m’a dit que vous vouliez disputer un shiai. Je veux bien en organiser un d’ici la fin du mois. Mais ta légère supériorité technique ne fera pas le poids contre le sien.
— Je frapperai là où ça fait mal ! rétorqua-t-elle, piquée au vif par cette remise en doute. Il est bien plus lent que moi !
— Le connaissant, il retiendra tous ses coups. Votre combat ne sera pas équitable, une démonstration tout au plus.
— Je veux prouver le contraire. Sinon quoi ? À chaque fois qu’on rencontrerait quelqu’un de plus fort, faudrait se coucher ?
— Seulement si tu l’acceptes.
— C’est bien ce que je dis !
Au rictus qu’afficha son senseï, Laure comprit enfin le double sens de ses propos. L’excitation que l’orgueil étouffait se raviva d’un coup de tison. Ses émotions s’apparentaient à des montagnes russes, elle ne contrôlait pas grand-chose.
Laure attaqua à défaut de pouvoir badiner.
— J’ai décidé de ne pas porter de t-shirt, car ça gêne mes mouvements. Si c’est là où vous voulez en venir.
— As-tu bien pesé le pour et le contre ?
Laure le regarda conduire. De ses mains qu’elle savait fermes à son profil aigu de requin, il possédait une musculature sèche que sculptait sa discipline.
— Oui.
Alors qu’elle attendait une réaction immédiate, son senseï n’en esquissa aucune, mis à part son sourire qui s’accentua à peine dans le jeu d’ombres et de lumières de la route.
La frustration la renfrognait dans son siège. Ils approchaient de son studio et rien ne se passait. À force de visualiser les possibilités les plus sulfureuses, la réalité la décevait. Et si la chaleur stagnait en bas, elle n’osait pour autant prendre l’initiative.
Il enclencha son clignotant et chercha une place. Faute de mieux, il dépassa l’adresse et se gara un peu plus loin sur l’emplacement du bus.
— Bonsoir.
— Eh bien ! bonsoir, grogna-t-elle avant de se contorsionner pour attraper son sac.
— Tu sembles me tenir rigueur de ne pas me jeter sur toi.
— Je ne sais pas.
— À ce stade, c’est un oui ou un non.
— C’est votre chantage aussi ! Et tous vos sous-entendus ! Est-ce que c’est une façon normale de draguer une femme ? Ou est-ce que vous vous moquez de moi ?
Laure espérait qu’il muselle ses questions d’un baiser, mais son senseï se contenta de la fixer. Ses yeux gris transperçaient la pénombre qui lui découpait le visage.
— Dis-moi plutôt ce que tu veux ou rentre chez toi.
Cet ultimatum prononcé dans le plus grand calme l’affola. Laure pensa fuir celui qui la poussait à avouer un désir qu’elle ne saisissait pas elle-même. Il l’énervait. Cependant, elle ne parvenait à quitter la voiture.
De larges faisceaux jaunes pénétrèrent l’habitacle jusqu’à l’illuminer lorsqu’ils se collèrent à la lunette arrière. La présence du bus créa comme une urgence. Une Laure presque aveuglée se rapprocha de son senseï.
— Du plaisir… Je crois, murmura-t-elle au moment où le chauffeur les klaxonna.
Elle sursauta. Non pas suite au tintamarre, mais parce qu’une paume venait de se poser sur son ventre. Un contact irradiant qui la pétrifia d’attentes comme d’appréhension. L’excitation gagna pourtant ses chairs, la fièvre s’y répandit pour lui vriller l’esprit d’envie tandis qu’un klaxon énervé résonnait dans la nuit au mépris du voisinage. Elle en voulait plus.
— Descendez. Caressez-moi, le pria-t-elle dans un souffle.
Ses doigts glissèrent sur le tissu léger de sa robe jaune. Une caresse dont l’assurance la stimula tant qu’elle en bascula les hanches. Il la toisait toujours quand sa main se nicha entre ses cuisses.
Laure goûtait à l’ivresse. Une semaine à fantasmer l’avait rendue réceptive, presque trop : le moindre frôlement lui infligeait des décharges électriques à lui extirper des soupirs avides. Son bassin s’agitait pour lui en réclamer davantage. Elle en trempait sa culotte. Un régal dont la preuve humidifiait l’étoffe jaune que son senseï moulait sur son sexe.
Lui conservait son aplomb. Seul son bras bougeait. Ses yeux gris ne cillaient pas. Soutenir ce regard impérieux décuplait les sensations qu’il lui procurait avec habileté, elle s’en tordait de délice dans son siège.
Ses vocalises se chargeaient déjà d’euphorie lorsque deux phalanges lui capturèrent le clitoris. Il roula sous la pression et explosa entre ses doigts. Un barrage se rompit, des spasmes contractèrent ses muscles. L’orgasme la submergea. Son corps se tendit dans un ahanement avant de quasi convulser, assailli par les répliques du plaisir.
Si elle avait déjà couché, Laure jouissait pour la première fois grâce aux soins d’un homme. Elle en savourait l’intensité, en appréciait chaque nuance ; une expérience nouvelle à laquelle se rajoutait la situation pour exalter ses sens.
— Vous… pouvez… aller… plus loin, ânonna-t-elle encore embrumée par l’extase et l’envie.
— Non. Il est tard.
Sa main quitta la vulve liquide dont les contours se dessinaient à travers le tissu imbibé de sa robe. Perdre son attention la dépita.
— Je pensais que…
— Que je prendrais tout, tout de suite ? l’interrogea-t-il avant qu’il ne se suce l’index puis le majeur.
— En quelque sorte. Vous êtes en érection, non ?
— Observatrice.
— C’est tout ? Vous ne désirez rien de plus.
— À t’entendre, on croirait que tu n’as rien reçu.
— Si, justement ! J’ai adoré pour une fois. Et j’en veux encore.
— Alors, présente-toi à cette adresse, dimanche à quinze heures.
Son senseï extirpa une carte de sa poche et la lui refila. Il lui embrassa ensuite le front.
— D’ici là, repose-toi, lui chuchota-t-il telle une promesse sous couvert d’injonction. Bonsoir.
Laure regardait la citadine s’éloigner. Qu’ils n’aient échangé aucun baiser la troublait autant que leur comportement respectif. Elle aurait rougi de sa propre audace si le plaisir ne colorait pas déjà son visage.
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